
Les vins français


Ecrire un champagne avec la vendange 2024
Delphine Veissiere
Grand vin effervescent, le champagne s’écrit à l’état tranquille. Ce sont les vins clairs qui forment son style, sa structure et sa capacité à vieillir en cave. Assemblage de deux cépages nobles que sont le Chardonnay, Pinot noir auquel s’ajoute le Pinot meunier, le champagne est un vin qui reflète le style d’un voire plusieurs terroirs dans une même bouteille. Bien sûr, il existe des champagnes pur chardonnay ou pur pinot mais le terroir ou le cru reste le déterminant de son caractère. Les chardonnays de terres septentrionales, à la manière de ceux mis dans les assemblages de la maison Ruinart n’auront pas la même complexité que ceux provenant de la fameuse Côte des blancs notamment Cramant et Avize. Le pinot noir reste plutôt égal à lui-même, seul sa rusticité change, le terroir d’excellence étant celui entourant la ville d’Ay. Enfin, le pinot meunier, malgré quelques vinifications remarquables, conserve son rôle de troisième élément qui arrondit les angles bien que les raisins vinifiés subissent les changements climatiques et s’arrondissent naturellement.
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Invitée par la maison champagne Billiot à Ambonnay, terroir d’appellation grand cru, j’ai eu le privilège de déguster des vins clairs provenant de la vendange 2024 réalisée sur différentes parcelles de la commune. Le Chardonnay 2024 d’Ambonnay, terre de pinot noir, apparait au nez, propre, ouvert et fringant avec une jolie note de fleurs blanches. Sa grande fraicheur en bouche lui promet de beaux jours dans le cadre d’une seconde fermentation isolée d’un quelconque assemblage. Il a le potentiel pour devenir un champagne blanc de blancs iconique avec une bevibilité qui atteindra son apogée dans les cinq prochaines années. A suivre.
Les vins tranquilles de pinot noir 2024 sont présentés en deux versions : le cœur de cuvée, d’une part, et la cuvée d’autre part. Le vin en version cœur de cuvée (soit les cinq premiers hectolitres de la meilleure presse) affiche une couleur ambrée, caractéristique du couple terroir-cépage des grands crus champenois. Le nez est plein et minéral avec une touche herbacée qui ne surprend pas au vu de leur jeune âge. En bouche, la fraicheur est moins tranchante que pour le Chardonnay (ce qui est normal) et la bouche est ronde avec une persistance moyenne. Plus de structure, plus de corpulence, plus d’horizontalité en bouche, il s’agit du pinot noir champenois dans toute son expression commune. Difficile à ce stade de privilégier une seconde fermentation dissociée d’une pointe de chardonnay pour lui donner de l’énergie et de la longévité.
La cuvée de pinot noir 2024, troisième vin tranquille présenté par la maison, est ouvert, fruité et opulent. Plus rustique et désordonné que le cœur de cuvée, il n’est clairement pas le fer de lance d’une grande cuvée. Son destin est celui de l’assemblage pour la construction d’un vin d’un bon équilibre entre une colonne vertébrale droite et bien dessinée et un fruit typique et goûteux qui s’associera avec bonheur à un plat gastronomique traditionnel à base de viande rouge rôtie et de foie gras poêlé. La prochaine étape vers la réalisation d’un assemblage pinot noir à l’aveugle se déroulera cette semaine. L’impatience et l’excitation sont de mise mais attention, il s’agit d’un champagne grand cru qui ne pointera le bout de son nez, a minima au printemps 2026. Choix crucial à suivre. Comptez sur moi pour vous raconter les prochaines étapes préalables à sa naissance.


Billecart-Salmon – Une journée à Mareuil-sur-Aÿ
Andrea di Agostini
L’histoire de la Maison Billecart-Salmon commence en 1818 lorsque Nicolas François Billecart et Elisabeth Salmon se marient et fondent leur Maison de Champagne. Nicolas François s’associe avec son beau-frère Louis Salmon : il se charge de l’activité commerciale tandis que Louis, passionné d’œnologie, se consacre à la production du vin. Aujourd’hui, la Maison en est à sa septième génération et continue de faire de la qualité son atout majeur. Gardons bien en mémoire ces noms : Louis, Elisabeth et Nicolas François, car ils seront les protagonistes de la magnifique dégustation qui m’a inspiré dans la rédaction de ce récit.
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La Maison élabore ses vins à partir d’une centaine d’hectares qu’elle gère directement. Les raisins proviennent de 40 crus s’étendant sur 300 hectares, principalement situés aux alentours d’Épernay et répartis entre la Montagne de Reims, la Côte des Blancs et la Vallée de la Marne.
Le joyau de la Maison est sans aucun doute le Clos Saint-Hilaire, une parcelle unique située au cœur de Mareuil-sur-Aÿ. S’étendant sur un hectare entièrement planté de Pinot Noir, elle porte le nom du saint patron du village. Ce vignoble clos de murs est cultivé selon les principes de la biodynamie et abrite des ruches d’abeilles, des fleurs, des arbres fruitiers et une multitude de plantes servant à la préparation des traitements élaborés dans la serre voisine. Les premiers plants de Pinot Noir y ont été plantés en 1964 et sont aujourd’hui cultivés selon des méthodes ancestrales, avec l’aide de chevaux de trait et de moutons. Ces pratiques favorisent la porosité et la biodiversité du sol, permettant aux racines de s’enfoncer profondément et d’absorber tous les minéraux du sous-sol. Les premières bouteilles du Clos Saint-Hilaire datent de 1995, et depuis, seules quelques millésimes ont été produits (le dernier étant 2009), avec une production limitée à 3 500-7 500 bouteilles, toutes numérotées.
À la fin des années 1950, Jean Roland-Billecart (cinquième génération) introduit la technique du débourbage à froid ainsi que des cuves en acier inoxydable pour permettre des fermentations plus longues à basse température. Chaque parcelle est vinifiée séparément afin de préserver toutes les caractéristiques du terroir. Cette fermentation lente exalte la fraîcheur, la finesse et l’élégance qui définissent le style de la Maison.
Les vins sont ensuite transférés dans des fûts et des tonneaux en bois pour leur vieillissement. Deux chais distincts abritent 400 fûts et 24 grandes cuves où le temps semble suspendu. C’est là que reposent les vins millésimés et la cuvée Brut Sous Bois. Les fûts utilisés pour l’élevage des vins du Clos Saint-Hilaire possèdent une particularité unique : un bouchon en cristal de Baccarat reproduisant le logo de la Maison.
La dernière étape du voyage est la longue maturation des bouteilles dans les caves crayeuses souterraines. Les champagnes non millésimés y séjournent au moins trois à quatre ans avant d’atteindre les exigences du chef de cave, tandis que les millésimés nécessitent dix ans d’attente (et jusqu’à 15 ans pour le Clos Saint-Hilaire !). À la fin du processus, la cuverie accueille les Vins de Réserve qui seront utilisés pour les futurs assemblages des champagnes non millésimés.
Deux dates récentes sont particulièrement marquantes dans l’histoire de la Maison Billecart-Salmon :
1999 – La cuvée Brut 1959 est élue « Champagne du millénaire » lors d’une dégustation à l’aveugle organisée à Stockholm, parmi 150 millésimes des plus prestigieux producteurs de Champagne. Le millésime 1961 décroche la deuxième place, réalisant ainsi un doublé historique.
Les dix meilleurs champagnes sélectionnés par le jury étaient :
1/ Billecart-Salmon 1959
2/ Billecart-Salmon 1961
3/ Gosset 1952
4/ Dom Pérignon 1964
5/ Dom Pérignon 1961
6/ Pol Roger 1959
7/ Dom Ruinart 1979
8/ Krug Collection 1961
9/ De Venoge Des Princes 1979
10/ Paul Bara 1959
2018 – La Maison célèbre ses 200 ans avec la cuvée « 200 », produite en édition limitée à seulement 1 818 magnums numérotés.
Et après cette visite… ne manquez pas la seconde partie, consacrée à la dégustation de trois grands champagnes !


Champagne au Shangri-La
Delphine Veissiere
Construit à la fin du XIXe siècle en plein cœur de Paris, le Shangri-La a été commandé par Roland Bonaparte, arrière-petit-neveu de l’empereur Napoléon Ier. C’est un palace parisien de haute lignée qui offre nombre d’évènements d’affaires importants incluant celui du Wine Business club réunissant le fleuron de l’entrepreneuriat français. Chaque soirée est l’occasion idéale pour fêter des retrouvailles autour de dégustations de grands vins : Bordeaux, Bourgogne, Rhône, quelques pépites du sud-ouest et …Champagne. Celui-ci coule à flot et émoustille le nez et papilles d’amateurs avisés et fortunés, femmes et hommes de pouvoir à la tête d’entreprises nationales conquérantes. Il est le protagoniste des rendez-vous d’affaires et plus si affinités, c’est lui, le champagne élaboré par des maisons prestigieuses dont le nom circule autour du globe. Quoi de mieux qu’une dégustation dans le cadre du Shangri-La Paris, écrin de luxe de l’ouest parisien, entre art de recevoir asiatique et art de vivre français ?
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À quelques pas des plus grandes maisons de couture de l’avenue Montaigne et de l’avenue George V, l’ancienne demeure du Prince Roland Bonaparte propose des associations de mets-vin qui ravissent. Restauré par l’architecte Richard Martinet le Shangri-La assume plus que jamais le statut de demeure de la bourgeoisie parisienne et des grands de ce monde, à cela près qu’il paraît désormais un peu plus accessible au commun des mortels. Il reste un monument classieux de la ville lumière dont l’éventail culinaire varié proposé en interne ou en terrasse, s’oriente autour de saveurs cantonaises. La décoration du lieu est Inspirée du style Louis XIV. Les chambres, elles, ont été pensées comme des résidences parisiennes privées luxueuses, dans un style franco-asiatique – tons bleu, or et écru, et style Rococo. Côté salles de réception, le palace mise sur plusieurs espaces dont le vaste Grand Salon, orné de lustres d’époque, d’une cheminée en marbre et d’une décoration Louis XIV et le Salon Roland Bonaparte, réputé pour son élégante décoration à la française baignée de lumière naturelle.
Au cœur de ce décor opulent et classique, l’esprit vif et impertinent d’Alain Marty, le fondateur du Wine Business club présent entre Monaco, Paris et Londres ne dénote pas. On l’image bien en grande conversation avec le Prince Roland Bonaparte au bar à champagne, situé dans les lounges, là où, chaque soir les convives peuvent découvrir le rituel de sabrage cher au premier propriétaire du lieu. Les mets sont à la fois propres à la gastronomie française et chinoise, proposée dans le Shang Palace (du chinois “Xiang Gong” qui signifie “Palais parfumé”). À la carte, pour le reste, une soixantaine de plats pour mieux découvrir des saveurs exotiques d’une grande subtilité́. Le canard laqué est servi en trois déclinaisons : la peau de canard croustillante avec des crêpes, le magret de canard haché frit au wok à envelopper de laitue et la soupe de canard agrémentée de tofu, de champignons et de chou chinois. Autant dire que les associations mets-champagne sont souvent prometteuses et révèlent toute leur richesse au cours de dégustations et diners de prestige.
A la carte du bar à champagne, une sélection de six champagnes à la coupe, qui varient au fil des saisons, selon les coups de cœur du Chef Sommelier. Pour cette fin d’année, place aux champagnes blancs et rosés issus des plus grandes Maisons françaises, telles que Veuve Clicquot, Bollinger, Laurent Perrier, Dom Pérignon, Duval-Leroy ou Krug. Tous les soirs, à l’heure du happy hour, un rituel est organisé, celui du sabrage de champagne. Une technique historique, devenue populaire sous le règne de Napoléon Bonaparte, et qui offre aujourd’hui un voyage dans le temps à tous les amateurs d’art de vivre à la française. À l’époque, après chaque victoire, les hussards, cavaliers de l’armée napoléonienne, ouvraient les bouteilles de champagne à la hussarde. Pour célébrer la victoire, ils les débouchaient d’un geste magistral, faisant sauter le goulot de la bouteille avec leur sabre, d’où l’expression sabrer le champagne. À l’occasion d’une de ces grandes fêtes, Napoléon aurait même déclaré : « Je ne bois qu’à deux occasions, dans la victoire pour célébrer et dans la défaire pour me consoler ».
L’instauration de ce rituel est une façon de rendre hommage au premier maître des lieux, Roland Bonaparte, qui a inspiré le nom du bar attenant aux Lounges, Le Bar Botaniste. Le petit-neveu de Napoléon était, en effet, un collectionneur et un scientifique hors pair qui avait en son temps le plus grand herbier privé du monde, composé de plus de 2 500 000 spécimens. En terrasse, le champagne Krug Grande Cuvée, emblématique de la prestigieuse maison de Champagne, associé aux bouchées salées exclusives imaginées par le Chef doublement étoilé du Palace, Christophe Moret. Des accords parfaits et inédits autour du Single Ingredient* sont imaginés. Cette année 2023, il s’agit du citron.
Depuis 2016, la Maison de Champagne Krug met l’accent sur un ingrédient unique pour créer des accords mets & vins avec ses cuvées. Une démarche innovante, basée sur l’individualité du produit, qui célèbre la philosophie de la Maison Krug depuis ses origines. Une philosophie prenant en considération l’identité de chaque parcelle afin de composer un champagne de qualité, bien au-delà de la notion de millésime. Après le riz, en 2022, le citron. Il s’agit, à mon sens, d’un ingrédient tout en tension et en équilibre, taillé pour donner la réplique aux champagnes Krug jeunes (en particulier la Grande cuvée) ou millésimés notamment le clos du Mesnil, 100% chardonnay. Les maisons voisines telles que champagne Salon pourrait être également de la partie et brillée dans l’excellence de l’association avec le citron mais également l’orange confite, chère aux mets élaborés dans les cuisines du Shangri-La de Paris. L’agrume est un partenaire incontournable des chardonnays de la Champagne reflétant une grande fraicheur et élégance dans les assemblages et/ou vinifications séparées.
N’en déplaise aux chefs étoilés qui ont travaillé sur les associations du citron et du champagne Krug et sélectionné le champagne rosé brut et la grande cuvée, brut sans année, le citron est un merveilleux ingrédient lorsqu’il est confit et déguster avec un vieux Chardonnay de prestige, tel que le champagne Krug Clos du Mesnil Brut Blanc de Blancs 2006. Lorsque l’on parle du Clos du Mesnil, il n’existe en effet, qu’une seule parcelle, vendangée en une seule fois, au cœur du village grand cru de la Côte des Blancs, Mesnil-sur-Oger. Ce qui le rend non seulement précieux mais unique sensoriellement parlant. Par ailleurs et dans le cadre de son association avec un met gastronomique, le fruité du citron, naturellement frais et sec, convient à un grand champagne lorsqu’il est très mûr voire confit sans sucre. La corpulence du pinot noir risque d’en couvrir l’expression alors que les saveurs briochées et beurrées d’un champagne Krug Clos du Mesnil en sera l’exaltateur.
Enfin, il faut savoir qu’en 2006, une vague de chaleur s’était abattue sur la Champagne, avec des températures extrêmes et 23 journées à plus de 30°C. La météo a été très capricieuse, alternant périodes très sèches et fortes pluies (l’équivalent de deux mois de précipitations en seulement deux semaines, au mois d’août). Heureusement, la fin de la saison fut ensoleillée. Aux vendanges, le Chardonnay se révéla très aromatique. Ce qui a permis à ce champagne de bénéficier d’un fort potentiel de vieillissement et d’être encore à ce jour vif, pur et brillant.
Pour célébrer ce fruit au goût intense, la Maison Krug publie d’ailleurs « La Beauté du Zeste », un ouvrage de recettes qui réunit 113 étoilés Michelin de 25 pays. Assurément, un beau cadeau à mettre sous le sapin pour les fêtes de fin d’année !


Champagne, mon amour
Delphine Veissiere
Après plus de dix ans d’absence sur les routes de la Champagne, me voilà repartie en exploration entre visites et dégustations privées à la recherche de trésors d’excellence. Initialement dédiée à mes amis italiens, cette recherche, je l’écris désormais comme une lettre d’amour au fil des instants champagne et des rencontres insolites. Certains pourraient dire que le champagne n’est qu’un vin produit dans un terroir français homonyme et qu’il n’y a pas de quoi s’extasier à ce point lorsque l’on connait d’autres terres d’excellence telles que celles de la Bourgogne, des châteaux bordelais classés ou de la côte Rôtie en région Rhône-Alpes.
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Et pourtant. L’histoire de la Champagne et des maisons qui ont diffusé son nom dans le monde entier se mêlent à des moments historiques, politiques et culturels suscitant des célébrations mémorables. Le champagne est une célébration en soi et son univers reste celui des instants précieux pour l’amateur quel que soit son statut et son rang. Le roi est mort, vive le roi !
D’abord aristocratique et bourgeois, il est un vin que tout producteur de raisin champenois élabore suivant des règles très précises. Nectar, rareté, secret de cave, le champagne est le vin des rois malgré les imitations et les jalousies qu’il suscite à travers le monde des producteurs et des domaines en mal de notoriété. Il est certes un vin qui respecte une méthode universelle, la fameuse méthode champenoise, applicable en Champagne et ailleurs. Cependant la technicité à la base de son élaboration n’est qu’un élément fondateur de son excellence. Savoir-faire français et maitrise de la complexité vont souvent de pair. En champagne, ce couple va de soi et il se perpétue depuis des siècles au sein d’un terroir septentrionale et crayeux.
Qu’on se le dise, le champagne n’est pas seulement le fruit de techniques sophistiquées mais celui du travail d’un terroir, de femmes et d’hommes qui aiment et respectent une terre cultivée avec des cépages nobles que sont le Chardonnay et le Pinot Noir. Et cela, depuis plus de 170 ans pour la maison Deutz notamment. La symbiose entre technicité créatrice et terroir d’excellence appartient uniquement à la Champagne n’en déplaise à nos amis anglais, américains, russes, sud-africains ou encore néo-zélandais. Le vin de Champagne est le fruit d’un terroir unique, celui de la Champagne d’appellation d’origine contrôlée. L’instant champagne respecte un véritable langage universel à la manière d’un mythe. Il rend visible des forces invisibles comme l’intuition qui ouvre les portes à l’interprétation et à la mémoire collective. Iconique, frais, fin et parfois puissant son instant s’inscrit dans la mémoire sensorielle de chaque dégustateur. Il fait parler le silence et se soustrait aux lois du temps et de la mode qui voudrait l’enfermer dans des routines clinquantes et besogneuses.
Reprenons donc notre ode au champagne, cette douce musique des sens, qui créé l’atmosphère du moment et les souvenirs indélébiles. Une coupe de champagne est une invitation au plaisir à partager avec des êtres chers ou de parfaits inconnus pour un moment festif voire intimiste inoubliable. Ne parle-t-on pas de vibrations voire de frissons lorsque l’on goûte à la fraicheur croquante et à la minéralité tranchante et si élégante d’un grand champagne ? La Maison de Champagne Deutz élabore chaque année 365 bouteilles (366 pour les années bissextiles) de la cuvée Amour de Deutz pour célébrer chaque jour la vie et le plaisir de l’instant. Envie de champagne 365 jours à l’année est également le livre que j’ai écrit il y a maintenant bien longtemps pour illuminer le quotidien de plats de la gastronomie italienne avec un champagne d’auteur emprisonnant les papilles dans une aventure gustative unique.
A la manière d’un met fin, d’un parfum, d’une musique joyeuse ou d’un baiser le plaisir d’une gorgée de champagne est immédiat. Il est à la fois rafraichissant et pétillant si ce n’est enjôleur comme la caresse d’un vent marin et iodé sur la peau. Ni vin de messe ni nectar opulent et alcoolique le vin de champagne s’invite à la rêverie et à l’audace du moment. Rencontre d’une femme Chardonnay et d’un homme Pinot Noir assorti en sa base d’un Pinot Meunier accommodant et plaisant, le champagne est à l’origine un vin d’assemblage. Il invite les genres autour d’un moment sensoriel réunissant les plaisirs procurés par le toucher, l’expression des parfums, le goût et la douce musique du cliquetis du perlage enfin libéré. La transparence et la couleur du champagne dialogue enfin à la perfection avec le bleu, le noir, le marron foncé, le vert, et même avec le violet et le bordeaux.
Champagne d’un soir, champagne de tous les jours, il est le vin qui s’invite à la table pour magnifier l’ordinaire et ravir les épicuriens bien loin de la construction froide et collective des stoïciens. Plutôt Chardonnay ou plutôt Pinot Noir et/ou Meunier, le champagne a un style qui nait au cœur des maisons de champagne historiques et vigneronnes, il est le vin à partager avec soi-même ou en bonne compagnie. Sa dégustation exalte la noblesse du silence et ne nécessite pas nécessairement de tapage mondain pour être apprécié. Les caves creusées dans la craie mais aussi les hôtels particuliers champenois sont des lieux atemporels idéaux.
L’hôtel particulier de la maison Deutz situé au cœur du village d’Ay reçoit uniquement les professionnels et les sommeliers pour des dégustations autour du Pinot Noir Grand Cru et des Chardonnay précieux de la côte des blancs. Rien n’est laissé au hasard. William Deutz, le fondateur de la maison a édifié une maison à la fois sobre à l’extérieur et cossue à l’intérieur reflétant toute l’opulence et le culte de la beauté du Second Empire. On remarquera l’atmosphère lumineuse et printanière donnée à la salle dédiée aux assemblages et à la dégustation par ses peintures murales mêlant dorures et représentations florales. D’ailleurs, la fraicheur, la finesse et la puissance sont les trois maitres mots qui décrivent le style Maison des champagnes Deutz.
Comme un clin d’œil à une cuisine antique moyen-orientale qui exalte les arômes de menthe fraiche saupoudrée sur les mets, les champagnes de la maison qu’ils soient blancs, rosés ou millésimés expriment au nez cette même caractéristique puissante, masculine et vive provenant du terroir d’Ay. Elle inspire le nez et elle invite à l’exploration de notes minérales et épicées particulièrement présentes dans le Champagne William Deutz 2008. Les vins de la maison sont purs, droits et ciselés par une belle fraicheur minérale. Le fruit est mûr et la bouche persistante laissant parfois place à une amertume attribuée à la présence d’un assemblage de vins de 2017 (notamment dans le champagne rosé brut), année mineure en Champagne.
Le champagne Deutz Brut Sans Année réalisé avec 45% de vins de réserve respecte le style maison, celui de l’équilibre entre puissante et finesse. Les bulles sont extrêmement fines et la bouche conserve une belle fraicheur minérale. Il s’agit d’un cœur de cuvée idéalement associé avec des coquillages iodés et crus. Le champagne Deutz rosé brut nait de l’assemblage de vins rouges et non d’une saignée par macération des peaux de raisins. Il surprend par sa transparence et l’intensité aromatique qu’il exprime autour des fruits croquants comme la groseille et la feuille de menthe fraiche. La liqueur de dosage réalisée avec de vieux vins n’impacte en rien l’équilibre de l’assemblage pinot noir d’Ay et chardonnay. Le perfectionnisme du chef de cave Michel Davesne est palpable et bluffant et cela malgré un pinot noir 2017 dégradé sur le plan sanitaire. L’assemblage avec les vins 2018 et des chardonnays impeccables lui permet de conserver le style attendu tout en maitrisant l’intensité colorante des pinots noirs d’Ay et de Mareuil sur Ay, vinifiés en rouge.
La cuvée Amour de Deutz 2010 est le fleuron de la Maison produit en seulement 6000 bouteilles. Pour réaliser cette cuvée, la maison fait preuve d’une grande maîtrise afin de présenter un champagne blanc de blancs dont les chardonnays ne proviennent pas de Ay mais de la côte des Blancs (en particulier Mesnil sur Oger). Il est d’ailleurs dosé au fur et à mesure du tirage afin de respecter la nature des vins et plutôt moins lorsqu’il s’agit des dernières bouteilles d’un même millésime. Comme cela est d’ailleurs le cas pour les différentes cuvées de la maison. La maturité aromatique s’exprime pleinement et la bouche reste vive et marquée par quelques rondeurs sans pour autant que les amers ne soient trop marqués. Les sucres sont à ma grande surprise en retrait (respectivement aux millésimes précédents), et le floral du chardonnay s’exprime pleinement dans une belle note beurrée, opulente et épicée. De la longueur et de la droiture. Décidemment une belle œuvre à associer avec une langoustine cuisinée avec une sauce au safran.
Comparativement les cuvées William Deutz 2008 et 2010 expriment toute la richesse, la générosité et la puissance du pinot noir d’Ay. Elles représentent à la manière des cuvées de la maison Bollinger des vins gastronomiques robustes et opulents qui s’associent parfaitement à des mets structurés autour d’ingrédients comme la menthe poivrée, le réglisse, la crème épaisse et les gambas à peine poêlés. L’apport d’une touche de pinot meunier dans l’assemblage de chaque cuvée William Deutz respecte d’ailleurs, non seulement la tradition familiale mais donne cette rondeur succulente et presque végétale au vin. En deux mots, on notera que les champagnes de la maison Deutz sont précis et rigoureux quel que soit les caprices de mère nature. L’esprit de la famille Deutz persiste au travers de ces deux cuvées rares et exceptionnelles – que sont la cuvée Amour de Deutz et la cuvée William Deutz – qui reflètent un art de vivre chevaleresque prussien à la fois désuet et fascinant.
Et pourtant, une fois encore il est important de souligner que la noblesse des nectars de champagne n’est pas toujours là où on la cherche dans une cave ou à portée de dégustation dans un hôtel particulier quel qu’il soit. Elle se perçoit au travers de récits de vies et d’instants présents et passés qui nous font pressentir une découverte, celle du rare et précieux situé entre le ciel, la terre et l’art du bon goût. Cette noblesse est humaine et silencieuse, elle se partage autour d’un verre fin et haut qui montre les couleurs d’un vin jeune doré et non assemblé en rosé qui suivant les terroirs devient ambré si ce n’est cuivré, et cela notamment lorsque les raisins proviennent d’Ay et de Mareuil sur Ay, sa voisine. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la cour du roi Louis XIV appréciait particulièrement les champagnes élaborés à Mareuil sur Ay par la maison Philipponnat depuis plus de quatre siècles.
Hormis les excellentes cuvées du Clos des Goisses, la maison Philipponat propose des champagnes de base qui présentent un style structuré et élégant unique que nombre de chefs étoilés italiens accueillent dans leurs sélections de champagne. L’excellence n’est pas réservée aux cuvées spéciales et aux grands millésimes. Les propriétaires de châteaux classés bordelais vous le diront. L’excellence se construit au fil du temps, de génération en génération, de père en fils comme de mère en fille. A la vigne comme dans la cave les savoir-faire s’enrichissent dans le cadre d’une transmission intergénérationnelle. Les grandes maisons de champagne vous le diront également, il faut au minimum un siècle pour faire un vin excellent qui corresponde au style atemporel attendu par les dégustateurs avertis et les collectionneurs de flacons rares. Mais alors comment se mesure-t-elle ? Elle est présente sur l’ensemble d’une gamme incluant les Brut Sans Année produits en Champagne.
La maison Philipponnat propose ainsi une cuvée royale non dosé et brut qui révèlent la richesse que le terroir de Mareuil sur Ay confère au champagne : le nez est intense, pure et épicé avec des notes de vanille ; la bouche est fraiche, longue et minérale. L’assemblage est dominé par le pinot noir auquel s’associe le chardonnay et une pointe de pinot meunier qui ajoute au second nez des arômes d’anis et d’amande fraiche. L’année 2016 aidant le champagne est splendide et offre une savoureuse dégustation avec des rondeurs briochées et des senteurs de pain grillé. Grand champagne de base qui mériterait d’être millésimé à l’instar du champagne Philipponnat Blancs de Noirs 2015 cuivré, puissant et robuste. Une bouteille numérotée à partager entre amateurs de vins rares provenant de terroirs d’excellence qu’ils soient ou non officiellement classifiés en Grand Cru.
Chez Philipponnat, la noblesse du champagne, de son terroir et de ses vins sont sous bonne garde. Tout comme chez Deutz, ce serait un crime de rompre la chaine de transmission des caractères acquis par les ascendants de ces deux grandes maisons qui conservent intact leurs savoir-faire familiaux et le mythe des vins de Champagne.
Nombre de petits producteurs telle que la maison Billiot à Ambonnay l’ont compris et s’attèlent à perpétuer le mythe et ses secrets depuis les années 60 mais l’excellence reste encore discrète et intuitive. Pas de tapage et d’effets de mode mais une véritable recherche où se mêlent l’amour de la terre et des vins essentiels qui n’ont pas besoin d’histoires surnaturelles pour épater et devenir la référence de base d’une cave privée ou d’une carte des vins raisonnée. La cuvée Billiot Essence, Blanc de Noirs, dernière-née des meilleures vignes de la maison Billiot est produite en 500 bouteilles numérotées et dégorgées en 2019 par Laetitia, qui chaque matin rend visite à ses vignes à la manière d’une mère aimante et ambitieuse pour l’avenir de ces enfants. Savoir-faire, transmission et terroir d’exception.
Cette cuvée réalisée par la maison Billiot est la curiosité 2021, réservée aux amateurs de pinot noir Grand Cru, avides de découvrir les secrets des meilleures parcelles d’Ambonnay, également patrie de la cuvée du Clos d’Ambonnay produit par la maison Krug.


Quand la Tour Eiffel rencontre l’excellence du Champagne
Delphine Veissiere
Grandeur et innovation. Tels sont les deux caractéristiques qui lient la Grande Dame de Fer, encore appelée Tour Eiffel, du nom de son concepteur et le monde pétillant du champagne. Malgré les scandales suscités lors de sa construction, la Tour construite par Gustave Eiffel fut le plus grand succès de l’Exposition universelle de 1889. Elle fût le symbole de la grandeur de la France que l’on célèbre volontiers avec une flûte de champagne dans les décors de la Belle Époque. Période faste et foisonnante d’innovations techniques et architecturales, cette période invite aux célébrations et fêtes parisiennes. C’est la naissance de l’aviation, du téléphone, du cinéma… Des inventions majeures se mettent en place.
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Grandeur et innovation. Tels sont les deux caractéristiques qui lient la Grande Dame de Fer, encore appelée Tour Eiffel, du nom de son concepteur et le monde pétillant du champagne. Malgré les scandales suscités lors de sa construction, la Tour construite par Gustave Eiffel fut le plus grand succès de l’Exposition universelle de 1889. Elle fût le symbole de la grandeur de la France que l’on célèbre volontiers avec une flûte de champagne dans les décors de la Belle Époque. Période faste et foisonnante d’innovations techniques et architecturales, cette période invite aux célébrations et fêtes parisiennes. C’est la naissance de l’aviation, du téléphone, du cinéma… Des inventions majeures se mettent en place.
A la belle époque, la « ville lumière » brille et s’enivre. Elle se prépare à changer de millénaire et rêve d’une paix inébranlable que les privations de la guerre encore proche et à venir ne pourra entacher. Les peintres impressionnistes mènent la danse en introduisant de nouveaux styles. L’intensité et les variations de lumière occupent une place prépondérante dans leurs œuvres. Les artistes s’écartent progressivement du réel pour donner naissance à l’art abstrait, à ses formes décomposées et déstructurées.
Le Cellier Belle Époque de la maison Perrier-Jouët s’inspire d’ailleurs de cette époque et réinvente le bar à champagne comme un lieu de vie où la nature est omniprésente. Sa terrasse extérieure est un véritable lieu de tranquillité où savourer de délicats accords mets et champagnes pensés par Sébastien Morellon, Chef exécutif de Perrier-Jouët. Le style est minimaliste et lumineux, idéale pour une dégustation de champagne conventionnelle.
Pourtant, l’audacieux champagne Perrier-Jouët Grand brut composé d’une proportion importante de pinot meunier et dégusté dans le cadre du cellier Belle Époque de la maison rappelle à nos papilles qu’il s’agit du vin le plus innovant existant sur la surface de la terre. Il rassure, déstabilise et bouscule l’équilibre des vins de champagne composés avant tout de Chardonnay et pinot noir ; le pinot meunier étant ajouté pour arrondir un vin essentiel et tranchant. Il se marie à merveille avec des spécialités de la mer relevées par une touche de yuzu et de poudre de combawa.
Le champagne est en soi une innovation majeure. Risquer de faire fermenter deux fois un moût de raisons nobles pour obtenir ce fin perlage qui caractérise le champagne était un pari fou que Dom Pérignon avait déjà observé au moment de l’apparition du printemps et du changement des températures. L’ingénieur Gustave Eiffel aurait pu d’ailleurs s’y intéresser pour dompter vaillamment cette incroyable force dynamique, qui existe dans chaque bouteille de champagne. C’est, en effet, un grand passionné qui imagine une tour gigantesque en acier, nne tour en forme de A, comme un symbole immortel de son amour pour la belle Adrienne.
La Tour Eiffel est depuis sa construction, l’orgueil national qui devait en principe être détruit seulement 20 ans après sa construction. Afin de la sauver, son ingénieur, Gustave Eiffel, lui attribua une vocation scientifique, en gigantesque antenne. Actrice incontournable de la Grande Guerre, elle revendiqua alors son rôle grâce à de nombreux messages interceptés, devenant alors un symbole de liberté, de victoire, et de célébration. Lorsque le bouchon de champagne s’échappe, une explosion se produit comme celui des feux d’artifice illuminant la Tour Eiffel lors de la Fête Nationale. De forme similaire à celle d’une bouteille de champagne, la Dame de Fer incarne, elle aussi, la vitalité et l’inventivité tricolore.
Bien sûr, la Tour Eiffel possède aujourd’hui ses propres restaurants, Madame Brasserie et Le Jules Verne, qui proposent leurs cartes de champagne. Mais il s’agit de lieux ciblés par des touristes américains, victimes des séries Netflix, idéalisant un Paris accueillant et romantique qui ressemblerait à une grande attraction du parc Disneyland Paris. Ces lieux sont en réalité gérés au rythme des caprices de grands chefs français proposant des menus chers donnant une bien faible place à l’excellence des associations mets-vins. Le blason du champagne est dans ces cadres préféré pour sa notoriété glamour et internationale et non pour ses qualités sensorielles rendant une association gastronomique unique.
Pourtant, la grande dame de fer mérite mieux. Elle, impassible et inébranlable est bien destinée à traverser les siècles à la manière des maisons de champagne ayant su construire et conserver leur identité et leur héritage. Elle exige les attentions d’un Gustave Eiffel passionné et génial qui défie les experts de l’époque et impose son innovation comme une œuvre majeure et séculaire. Gageons sur le génie d’un jeune prodige de la gastronomie française pour y apporter la quintessence du champagne du goût et non du champagne de marque qui habille les stars et les influenceurs du moment.
